La Libération de Rânes (Orne) en Août 1944  

Les bombardements aériens alliés

    
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Trois bombardements aériens alliés ont particulièrement marqué les habitants de Rânes :
  • le 10 août 1944 à L'Aunay-Sorel, hameau sité à 1 km environ du centre du village; 10 victimes civiles sont recensées mais il y en eut probablement une de plus. Des soldats allemands furent aussi tués et blessés mais on ignore leur nombre. Des médecins allemands ont soigné et amputé sur place les blessés allemands et français. Certains blessés étaient transportés à Boucé où un hôpital de campagne était alors installé.
    D'après le livre British Intelligence in the Second World War, volume 3 par F. H. Hinsley, C. F. G. Ransom, R. C. Knight (Cambridge University Press, 1988) p. 258, ce bombardement a été effectué par la Royal Air Force à la suite de décryptages de liaisons radio indiquant que ce point était un centre de rapports et qu'une réunion y était convoquée à 18h00. Le mauvais temps n'a pas permis aux pilotes de prendre connaissance du résultat du bombardement.
  • le 12 août 1944 à La Forêterie, à 2 km environ du centre du village sur la route d'Ecouché.
    Ce bombardement visait un convoi sanitaire allemand (1 victime civile; on ne connaît pas le nombre de soldats allemands tués ou blessés). La question se pose de savoir si ce bombardement constituait une erreur d'identification ou s'il s'agissait d'une attaque délibérée sur un convoi normalement protégé.
  • le 14 août 1944 à la Cour Chauvin près de la place centrale du village (12 victimes)

Voir aussi le récit de l’abbé Lévesque
La tragique Libération de Rânes (format PDF, 8 pages)

et la page sur les victimes civiles



Escadrilles ayant effectué les bombardements des 14 et 15 août 1944

Les bombardements sur Rânes des 14 et 15 août 1944 ont été effectué par la IXth et la XIXth TAC (Tactical Air Command) de la 9th Air Force en soutien à la progression de la Third Armored Division. 33 escadrilles de la IX TAC sont équipées de P-47 Thunderbolt. Plusieurs ont participé aux bombardements sur Rânes et ses environs, notamment:

le 404th Fighter Group
  • Jusqu'au 3 septembre, le 404th FG était sur l'aérodrome de campagne [ALG = Advanced Landing Ground] A 5, à Cartigny-L'Epinay (Calvados).

le 358th Fighter Group
  • appartient au 100th Fighter Wing, basé à High Halden (Angleterre), comprend les 365th, 366th et 367th Fighter Squadrons
  • Jusqu'au 14 août, le 358th FG était sur l'aérodrome de campagne A 14, à Cretteville (Manche).

Leap Off

(littéralement: sauter, bondir)

Histoire des combats du 404th Fighter Group [404ième Groupe de Combat, Tactical Air Command (TAC), 9ième Armée de L’US Air Force]

Les noms des cibles revenaient périodiquement comme une litanie. Argentan, Briouze, Carrouges, Putanges, La Ferté-Macé et Rânes constituaient des cibles courantes en cette fin de journée [du 14 août] et durant la majeure partie du 15 ; elles ont marqué la dernière action majeure du groupe durant la campagne de Normandie.

Rânes était juste une petite ville carrefour à mi chemin entre Argentan et la Forêt d’Andaine. Les chars de la Third Armored Division s’en approchaient depuis le Sud et le Sud-Est et découvrirent une forte concentration de chars ennemis dans les bois alentours sur trois côtés de la ville, au Nord, à l’Est et à l’Ouest.

La première mission de "découverte" de Rânes consistait en une formation par 8 de la 506ième. Ils étaient appelés ici par une demande radio urgente de "Poodle" pour du plasma sanguin ["Poodle" et "Bronco" étaient respectivement les surnoms des Combat Commands A et B de la Third Armored Division]. Le contrôle au sol souhaitait que le plasma soit largué au Sud du village, et l’escadrille a alors relayé l’information à "Sweepstakes" [le contrôle du Tactical Air Command]. Deux vols en formations par 4 de la 506ième suivirent l’appel et survolèrent les bois à l’Est et au Nord-Est de Rânes à la recherche des chars qui y étaient cachés. Ils découvrirent facilement les troupes américaines au Sud du village.

Seize appareils de la 507ième conduits par le Major Tice arrivèrent tôt dans la soirée et parcoururent une vaste région à l’Ouest et au Nord d’Argentan, en surprenant plus de 30 véhicules ennemis éparpillés. Les bois aux alentours de Rânes camouflaient encore les chars ennemis, destinés à sortir de leur abri le jour suivant.

Un subterfuge de l’ennemi a cependant échoué à sauver un Panzer Kampfwagen. Un commandant de char ennemi a couru précipitamment sous un pont à côté d’une ville nommée Écouché, à environ six ou huit miles [10 à 13 km] de Rânes, mais pas avant qu’il n’ait été touché par le chef de la 507ième, Denver Smith [Smitty]. Smitty largua ses bombes sur le pont routier et eut la satisfaction de voir la fumée noire et veloutée de l’essence en feu s’élever en tourbillon quand il vira pour observer son œuvre.

La 508ième a effectué trois vols en parcourant la Poche [de Falaise] sans toucher Rânes ; la 506ième revint alors en scène avec deux derniers vols en formation par 4. Ils travaillèrent en étroite collaboration avec le Combat Command A "Poodle" ; ils bombardèrent un char et des véhicules à moteur parmi les arbres à l’Est de la ville et survolèrent un verger signalé par une fumée rouge à un demi mile [800 m] du centre du village.

Il y avait ce soir là des réjouissances et une grande réunion à l’escadrille "Granite". Trois disparus [MIA : Missing in Action] étaient de retour. Ralph Smathers, abattu le 10 Juin dans la péninsule de Cherbourg, Colwell abattu le 8 Août, et Bob "Senator" Johnson qui avait été abattu seulement 4 jours auparavant. Smathers et Colwell s’étaient échappés du secteur ennemi sans être capturés, tandis que Johnson était blessé et s’était écrasé au-delà de nos lignes. Le "Senator" était apparu la tête enveloppée dans un grand turban de bandages.

Dix missions eurent lieu le 15 Août et neuf d’entres elles se déroulèrent en relation avec la colonne blindée [de la Third Armored Division] qui attaquait Rânes. La 506ième a bombardé la ville elle-même ainsi que des véhicules motorisés au Nord-Est ; la 507ième a touché à nouveau la ville et a ratissé les routes et les bois adjacents au Nord-Est et au Nord-Ouest ; la 508ième fit de même.

Une formation de la 507ième conduite par le Capitaine Ray Langford a laissé onze immenses incendies près de la place du village :

« Les chars [de la Third Armored Division] étaient au Sud de Rânes ; ils nous dirent qu’ils étaient arrêtés par des éléments allemands en plein dans la ville » rapporte-t-il. « Ils nous demandèrent de les bombarder ».

« Nous avons alors largué 15 bombes à fragmentation de 500 livres et 7 bombes de 260 livres. Onze immenses feux se sont alors déclenchés et j’ai vu plusieurs éruptions d’épaisses fumées noires quand nous sommes revenus pour effectuer une passe de mitraillage. »

« Nous avons alors rendu compte de nos résultats et les chars nous répondirent : ‘OK. Nous entrons’. »

Leo G. (Little Caesar) Moon était suivi par 8 appareils de la 508ième et après une heure d’attaques, il était sur le point d’être relevé par le Major Harold Shook et la 506ième quand il repéra une cible très intéressante : 20 chars ennemis. Il ne pouvait pas donner la localisation à Shook par radio, aussi Little Caesar a-t-il conduit l’escadrille Pintail vers la cible en mitraillant les chars ennemis.

Les bombardiers de Shook revendiquèrent 15 chars détruits.

En début de soirée, les escadrilles commencèrent leur second round de missions de la journée, et la 507ième découvrit finalement l’ennemi quittant ses abris et prenant la route au Nord-Est de la ville.

Le second vol du Capitaine Tom Weeler s’introduisit jusqu’à avoir une bonne vue sur les véhicules ennemis et les observa échelonnés le long de la route partiellement dissimulés par les arbres. Weller prit de bonnes mesures en arrêtant la nocivité de la flak à sa source lors de son bombardement. Ainsi qu’il le rapporte :

« Je vis ces chars ainsi que des personnels qui couraient çà et là comme pour servir leurs canons de flak. Je dis alors à mon compagnon de vol : ‘Je descends. Toi, tu restes ici, et s’ils commencent à me tirer dessus avec la flak, tu leur balances tes bombes à fragmentation.’

Ils avaient dû m’entendre car je suis descendu et j’ai bombardé leurs chars sans qu’ils me tirent dessus. »
Etant donné la concentration ennemie, le Major Tice organisa rapidement une autre mission initialement non planifiée et revint plus tard dans la soirée avec 8 appareils, accompagné de Weeler qui dirigeait le second groupe pour localiser le "terrain de chasse enchanté". Ils trouvèrent les chars en feu du fait des précédentes missions le long de la route qui sortait de Rânes, et ils bombardèrent en arc depuis le Nord-Est jusqu’au Nord-Ouest au dessus de la ville. Ils touchèrent cinq autres véhicules blindés, deux camions, une moto qui portait 5 hommes, un canon de flak léger, et tirèrent à la volée sur des trous de camouflage d’infanterie.

Le Major Tice vit une large fumée brunâtre s’élever de la terre jusqu’à environ 1000 pieds [300 mètres] et qui s’échappait apparemment de la tourelle d’un char touché par le Capitaine  James A. Mullins. Weller a personnellement abattu les 5 hommes de la moto :

« Je les ai vus au Nord-Ouest de Rânes courir le long de la route. Il y avait tant d’hommes sur la route que je ne voyais même plus la moto. Je les ai mitraillés et les ai tous eus. »

Après l’attaque, Mullins, qui conduisait le second vol, reçut un appel faible de "Poodle" [le CCA de la Third Armored Division] qui demandait de façon urgente qu’une poche de plasma sanguin soit larguée à un point marqué par des panneaux au Sud de Rânes. Il relaya le message à "Sweepstakes" [le contrôle du Tactical Air Command] qui transmis alors la réponse aux gars à terre : ‘C’est sur le chemin’.

Peu après, un P-47 d’un autre groupe a largué ce plasma tant attendu.

Lors de la seconde mission de la 508ième, Ira Fisher s’est écrasé mais s’en est sorti sain et sauf.

Les trois escadrilles lancèrent encore chacune une mission dans la soirée, toutes au Nord et à l’Est de Rânes, sur des chars, des canons et des véhicules motorisés.

A la tombée de la nuit, une nouvelle importante arriva au Groupe : la Septième Armée Américaine et les Alliés Français avaient débarqué sur la Côte-d’Azur et les dispositions ennemies en France étaient en mauvaise posture.

Extrait de: Leap Off , 404th Fighter Group Combat History, pp. 52-53
traduit par Patrick Peccatte

Le bombardement du 12 août 1944 à La Forêterie visant un convoi sanitaire allemand

Contexte
Jeudi 10 Août 1944 : bombardement de l'Aunay-Sorel, 11 victimes
Vendredi 11 Août : rien
Samedi 12 Août : bombardement de la Forêterie à 18h30 sur 3 ambulances

La Forêterie, 12 Août 1944. - Depuis le Jeudi 10 Août et le bombardement meurtrier de l'Aunay-Sorel, un hameau voisin, la tension montait crescendo dans les environs, on sentait que la bataille était proche. Les avions alliés, qui étaient de plus en plus présents dans le ciel, inquiétaient les habitants.
Les bruits des combats étaient très proches en ce samedi 12 Août 1944. La journée, se passa relativement calmement, a l’exception de la Forêterie, situé sur l’axe menant à Écouché - Argentan, en bordure de route. A 18h30, des moteurs se firent entendre, remontant la côte qui sépare le hameau du bourg de Rânes. C’était un convoi allemand de la Croix-Rouge, ramenant des blessés vers un endroit plus sûr. Ils avaient d’abord tenté de passer par Boucé mais avaient vite rebroussé chemin pour prendre la route d’Ecouché.
Ce n’est qu’après avoir grimpé la côte, alors qu’ils dépassaient la secrétaire de mairie Denise Chevreuil, qui, comme chaque soir, rentrait chez elle en bicyclette, qu’un déluge de feu s’abattit sur le convoi. Au total, 7 bombes de bombardier lourd touchèrent la route et les environs du petit hameau. La poussière, une fois dispersée, laissa apparaître l’horreur aux yeux des habitants qui accoururent rapidement sur les lieux. Deux gigantesques entonnoirs s’étaient formés sur la route, des corps gisaient de tous les côtés, éparpillés dans les champs. Les unités allemandes stationnées au plus proche vinrent aussi constater les dégâts et relever leurs camarades blessés ou morts. Les civils guidaient les soldats allemands dans leurs macabres recherches. Le vélo de la secrétaire de mairie fut retrouvé à proximité de la route, en deux parties, alors qu’elle-même gisait au pied d’un hangar, tuée très probablement par le souffle de l’explosion.
Mme Martinez, résidente du hameau, qui s’occupait de ses vaches à ce moment, n’oubliera jamais cette triste fin de journée où elle vit son amie et voisine périr sous les bombes des futurs libérateurs.
Dans un premier temps, les corps des malheureux soldats furent groupés sur le bas-côté de la route, « tous avaient les fesses rôties »  se souvient Mme Martinez.
Les pauvres soldats qui avaient survécu à ce carnage furent emmenés en ambulance, les morts furent emmenés ultérieurement. Il y eut probablement 25 à 30 victimes (blessés ou morts) chez les soldats allemands.
Fort heureusement, le hameau n’avait été que très peu touché par ce fulgurant bombardement ; seulement des toitures soufflées sur les maisons proches et quelques carreaux cassés. Le moteur de l’ambulance s’est retrouvé en plein milieu d’un champ à 100 mètres du point d’impact de la bombe. Le cric de cette même ambulance s’était carrément retrouvé planté au pied d’un arbre.
Cet axe menant à Argentan allait être d’une importance cruciale pour la suite de la bataille de Normandie, les Allemands, autant que les Américains le savaient, c’est pourquoi les soldats en présence s’affairèrent a remettre en état la chaussée très endommagée, ce qu’ils firent en ½ heure selon les témoignages.
Durant une bonne partie de la nuit, un convoi incessant composé principalement d’unités hippomobiles traversa le hameau. Cela montre à quel point cette route était importante en tant qu’axe de repli.
La journée suivante réserva quelques macabres surprises aux habitants du coin qui, au cours de leurs déplacements dans les champs alentours, retrouvèrent des débris humains, bras et jambes qu’ils prirent la peine d’enterrer sous un if. Un corps entier a même été trouvé dans un peuplier, une branche plantée dans la bouche. L’un des civils découvrit une 8ème bombe, non explosée, qui attira la curiosité des habitants. Les Allemands exhortèrent les civils à s’éloigner de cet engin craignant qu’elle n’explose. Ces craintes se confirmèrent car la bombe explosa peu de temps plus tard sans faire de dégâts ni de victimes.

D'après le témoignage de Mme Martinez recueilli par Alexis Boban, 2006

bombardement visant un convoi allemand le 10 Août 1944 à La ForêteriePhoto du bombardement visant un convoi sanitaire allemand le 12 août 1944 à La Forêterie (2km environ de Rânes, sur la route d'Ecouché)

Bundesarchiv 101/722/406/30a
Photo extraite du livre D'Argentan à la Seine, par Didier Lodieu, Ysec, 2003, p. 130
Plusieurs photos du bombardement de La Forêterie sont reproduites dans cet ouvrage, mais malheureusement sans indications de lieu et de date.
Cette photo figure aussi en page 2 de la revue 39-45 Magazine hors-série n° 4 (mars-avril 1988) (Éditions Heimdal) également mal localisée.