La Libération de Rânes (Orne) en Août 1944  

Les prisonniers de guerre allemands
à Rânes

    
 www.ranes1944.org 

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Après la guerre, plusieurs prisonniers allemands ont été employés dans certaines fermes ou chez quelques artisans de Rânes. Ces prisonniers avaient été internés dans un camp à Damigny, près d'Alençon, et des civils ayant besoin de main-d'oeuvre venaient les réquisitionner.
Le camp de Damigny était l'un des plus grands camps de France avec plus de 20000 prisonniers.
cf. Les dépôts de prisonniers de guerre de l'Axe en mains françaises
Voir également le document L'utilisation civile des prisonniers de guerre de l'Axe

Hermann Halter, originaire de Neidenstein près de Heidelberg, a été fait prisonnier par les Américains en 1944. Il a ensuite travaillé comme prisonnier de guerre chez plusieurs patrons en Normandie jusqu'en 1948. L'un de ses derniers patrons fut Albert Sochon qui était serrurier et réparateur de machines agricoles à Rânes. Hermann travaillait alors comme menuisier-ébéniste. Il était très apprécié et traité à l'égal des autres employés. Cela n'a malheureusement pas toujours été le cas et certains se souviennent de vexations ou brimades envers les prisonniers allemands. Dans une certaine ferme par exemple les deux prisonniers ne partagaient jamais la table de leurs employeurs et devaient manger en silence à l'écart sur une petite table isolée.

Hermann est revenu à Rânes en 1966 pour rendre visite à Albert Sochon ainsi qu'à plusieurs amis français.
Hermann est décédé le 3 avril 1985.

Herman Halter
Photo de Hermann Halter et de sa femme Anni à Neidenstein dans les années 1970


Les prisonniers de guerre allemands à Rânes en 1945

témoignage de Jean Jaigu

Le nombre de soldats allemands prisonniers en France en 1945 est estimé à environ 750 000  personnes.
La période d'emprisonnement en France s'est achevée en décembre 1948.
Au-delà de cette date, le gouvernement français a proposé aux Allemands de rester travailler en France avec un contrat de travail - d'une durée d' un an - soumis au droit du travail français.

"Plusieurs de ces prisonniers de guerre allemands ont été employés à Rânes - en particulier dans les fermes - et  compensaient par leur travail l’absence du fermier français lui-même prisonnier de guerre en Allemagne (parfois employé lui aussi dans une ferme).
Dans l’environnement immédiat de l’ancienne gare - où mes parents avaient obtenu du Maire l’autorisation de s’installer provisoirement après l’incendie, causé par les combats de la Libération de notre maison du bourg (rue des Cinq Martin) - je pouvais voir, presque chaque jour en allant chercher le lait, un de ces Allemands employé à la ferme Midy. Comme les valets de ferme français – avant lui et après lui - il couchait dans l’écurie dans un lit surélevé d’où l’on pouvait surveiller les juments au moment de pouliner. Pour nous, les enfants, cet homme était facilement reconnaissable à ses vêtements sombres et surtout à sa casquette (militaire) dont la forme ne ressemblait en rien à la coiffure que presque tous les paysans Rânais portaient à l’époque. A dire vrai, sans doute du fait des événements que nous venions de vivre et de ce que nous avions entendu dire sur les « boches »et leurs « têtes brûlées », cet homme nous faisait un peu peur et nous tâchions de passer le plus loin possible de lui quand nous l’apercevions dans la cour de la ferme. Il me donnait l’impression d’être assez solitaire ; il faut dire que la langue devait déjà constituer pour lui un obstacle.
Je crois me rappeler qu'un autre prisonnier allemand travaillait également à la ferme Géray au Bois Bellanger.
Mais au ras de notre maison, nous avions aussi comme plus proches voisins un groupe de prisonniers allemands employés au déminage du secteur."

En France, la Direction du déminage dépendait du Ministère de la Reconstruction et avait à sa tête Raymond Aubrac illustre résistant nommé préfet à la Libération. Au niveau local, le déminage était généralement organisé par la commune.
Ce sont 48 500 prisonniers allemands qui ont été employés au déminage avec l'accord des Alliés (mais en contradiction avec la Convention antérieure de Genève).
Environ 3 000 Français se sont portés volontaires pour assurer le déminage; ils étaient attirés par un travail - assez difficile à trouver à l'époque - bien payé par dessus le marché (il est vrai que les risques étaient grands).
Devant l'autorisation donnée par les Alliés d'employer des prisonniers de guerre allemands pour cette tâche dangereuse, le rôle des démineurs français s'est souvent mué en encadrement des démineurs Allemands.
Les chiffres d'accidents de déminage varient sensiblement selon les sources : 2 500  Allemands auraient été tués (soit environ 5% des effectifs employés) et 180 Français (soit environ 6% des volontaires).
La fin de la période de déminage en France se situe en décembre 1947.

"A Rânes, ils devaient être une dizaine de démineurs allemands gardés nuit-et-jour par quelques Français qui portaient toujours le fusil à l’épaule.
Ils logeaient dans un baraquement (en bois et couvert de papier goudron) fourni à la France par les Américains du Nord (Etats-Unis ou Canada), du même modèle que ceux qui avaient été alloués aux établissements Claude qui – au Ménil-Angot, derrière la Croix - y avaient installés leurs entrepôts de grains et d’engrais [Marcel Claude avait été chercher ces baraquements à Domfront]. Cette baraque avait été montée au-delà de la gare, à l’extrémité nord-est du remblai qui – avant 1940 - supportait les 2 ou 3 lignes de chemin de fer. Beaucoup d’autres baraquements – de forme adéquate - ont également servi pendant plusieurs années dans le bourg comme commerces et comme logements.
Le matin, ces prisonniers passaient au ras de nos portes pour aller faire leur dangereux travail; c’était bien avant que nous ne partions à l’école - qui commençait alors à 9  heures - et je ne me souviens pas les avoir entendus nous réveiller en passant. Dans la journée, ils restaient sur leur chantier de déminage et, le soir, ils rentraient discrètement en rangs, toujours sous la surveillance armée de leurs gardes français.
Chaque soir, et plus rarement le matin (le jeudi et le dimanche -jours sans école - sans doute) il nous arrivait de passer devant le baraquement lorsque nous allions conduire ou rechercher nos chèvres qui – dans la journée - étaient enchaînées au piquet le long de l’ancienne ligne (non loin du point de chute de l’avion américain) et des chemins avoisinants. Il va de soi que nous passions rapidement et « au large » pour les raisons déjà évoquées plus haut.
Certains soirs, ils s’asseyaient le long de leur baraque – côté sud donc - et je me souviens que certains jouaient de l’harmonica (« bien! » selon l’appréciation de mes parents).
Mes parents discutaient de temps en temps avec les gardiens mais je ne les ai jamais vu adresser la parole à un « boche » comme j’entendais dire autour de moi.
Puis un jour, les prisonniers sont partis sans que je sache pourquoi (le déminage du secteur était-il achevé ?) et sans que j’aie jamais entendu dire que certains aient été ou blessés ou tués en déminant.
Le baraquement est resté vide pendant des mois (seuls les lits superposés faits de planches de bois étaient encore visibles, au fond); nous les enfants allions y jouer car c’était  une grande aire de jeu à l’abri qui s’offrait à nous.
Il a encore servi pour y organiser le repas de baptême d’une de mes sœurs en Octobre-Novembre 46 puis le repas de mariage du fils de notre voisin Maurice Bisson. Il est d’ailleurs encore visible - pour celui qui se souvient de cette construction - sur la photo aérienne de 1947 où l’on aperçoit aussi l’avion américain.
Enfin, un jour, on nous a dit que le baraquement avait été vendu; l’acheteur est donc venu le démonter. Mes parents ont eu l’opportunité d’acheter l’ancienne gare et de l’agrandir; des échanges de terrains se sont faits avec M Bisson notre voisin qui se plaignait de ne pas « avouèr d’ieau pour ses vaches » (avoir de passage pour que ses vaches accèdent à la mare); les clôtures de la ligne ont été déplacées et réutilisées; le remblai a été débarrassé des quelques ronces ou arbustes qui commençaient à y pousser et le passé récent de l’ancienne gare avec le baraquement et ses prisonniers, le char allemand détruit, la canon anti-char allemand Pak40 [voir photos dans La bataille de Rânes-Fromentel], l’avion américain, les haies percées d’ouvertures pour laisser passer les chars, les tombes provisoires des Allemands… tout est peu à peu tombé dans l’oubli ou presque sauf pour les gosses que la guerre avait surpris et troublés et qui garderaient leur vie durant les images de cette période bouleversée de leur existence."

Jean Jaigu
Voir aussi la page Le déminage de la France après 1945 sur le site Chemins de mémoire